Ottawa, le lundi 9 mai 1994. Le Prix Michener 1993, décerné annuellement pour l’excellence en journalisme d’intérêt public, a été attribué conjointement aux quotidiens Globe and Mail et Ottawa Citizen. Cette égalité, la sixième en 24 ans d’existence du Prix, reconnaît le travail du Ottawa Citizen dans sa couverture du controversé projet du gouvernement conservateur de privatiser l’aéroport Pearson de Toronto et celui du Globe and Mail dans le dossier enchevêtré et tragique du sang contaminé.
La cérémonie de remise de Prix a eu lieu à Rideau Hall, dans la Capitale nationale, sous la présidence du Gouverneur général Ramon Hnatyshyn. Six finalistes avaient été choisis parmi les 58 candidatures provenant de diffuseurs radio et télé, d’agences de presse, de journaux quotidiens et de périodiques. Dans son discours aux invités, le Gouverneur général a loué la grande qualité des candidatures et la façon dont chacune répondait aux plus hauts standards journalistiques.
Il a aussi dit que de nombreux changements étaient en cours dans le monde et dans les médias, changements qui feraient sursauter les journalistes d’une époque précédente. Il a parlé des défis sérieux que posaient les nouvelles technologies et la prolifération des ordinateurs personnels pour l’avenir des formes traditionnelles des médias écrits et électroniques. Il a mentionné que des questions se posaient au sujet des valeurs fondamentales du journalisme ainsi que de l’éthique, et que de nouveaux standards pourraient découler des restrictions économiques et de la multiplication des forces en présence (voir le texte complet du discours du Gouverneur général).
Le quotidien Ottawa Citizen a été choisi co-récipiendaire du Prix pour avoir dévoilé les détails de l’entente visant à privatiser l’aéroport Pearson de Toronto dans une série d’articles qui a alimenté le mécontentement des électeurs à l’endroit du gouvernement de Brian Mulroney. Les articles détaillés, réalisés par le journaliste Greg Weston en pleine campagne électorale, ont été un facteur déterminant au déclenchement d’une enquête qui a résulté dans l’annulation de cette entente de plusieurs millions de dollars. Lors de la soumission de sa candidature, le Citizen a décrit le projet de la façon suivante: « Rarement dans l’histoire politique récente a-t-on vu une initiative gouvernementale aussi importante et avec un impact aussi majeur pour la population être entourée d’autant de secret, la vérité étant étroitement préservée au sein d’un petit groupe de joueurs qui avaient des intérêts personnels dans le projet« .
Le Globe and Mail, pour sa part, a été choisi parmi les finalistes pour une troisième année de suite. Le journal a été honoré pour ses efforts continus à faire la lumière dans l’histoire enchevêtrée et tragique du sang contaminé, un dossier que plusieurs croient être le pire désastre de l’histoire du Canada en matière de santé. A titre de finaliste pour le Prix 1992, le journal avait révélé que le scandale du sang contaminé était responsable de la mort de 1000 personnes atteintes du virus HIV à la suite de transfusions sanguines dans les années 80. En septembre dernier, une nouvelle série de quatre articles a révélé comment les provinces avaient conspiré entre elles pour ne pas compenser financièrement les victimes de sang contaminé et combien d’autres personnes mouraient sans le sou parce que l’aide fédérale avait pris fin. Autant le gouvernement fédéral que les provinces ont révisé leur position, et quelques semaines après la publication de ces articles mettaient fin à leur blocage qui durait depuis sept ans et contribuaient un total de 159 millions $ pour venir en aide aux victimes.
Les Bourses Michener-Deacon 1994 :
Le président de la Fondation Michener, Clark Davey, a remis des bourses d’études aux journalistes François Brousseau et Robert Hepburn. (M. Hepburn se trouvant en reportage au Moyen Orient et dans l’impossibilité de participer à la cérémonie, c’est John Honderich, éditeur du quotidien Toronto Star, qui a accepté la bourse en son nom.)
François Brousseau – Boursier 1994 [Cliquez pour agrandir]
Robert Hepburn – Boursier 1994 [Cliquez pour agrandir]
La Fondation des Prix Michener offre un congé d’études de quatre mois à des journalistes en milieu de carrière qui s’intéressent à des projets leur permettant d’accroître leurs connaissances journalistiques tout en favorisant l’intérêt public à travers des valeurs qui bénéficient à l’ensemble de la population.
Monsieur Davey a aussi annoncé la décision du conseil d’administration de la Fondation de reconnaître l’engagement de Paul Deacon, dont « le travail depuis de nombreuses années a permis de garder la Fondation Michener vivante et forte ». A son assemblée annuelle, le conseil d’administration a unanimement élu Paul Deacon comme son président émérite.

Au cours des ses remarques, Clark Davey a déclaré que « chaque organisme de presse au nombre des six finalistes du Prix Michener avait fait preuve de leadership en matière de journalisme d’intérêt public. Souvent, quand le genre de reportages qui gagnent le Prix Michener – ceux qui vont vraiment au fond des choses – sont diffusés ou publiés, il n’est pas toujours évident à première vue que l’intérêt public a été bien servi. Souvent, les organismes de presse et les journalistes qui réalisent ce genre de reportages s’exposent à des représailles. Heureusement, les médias écrits et électroniques qui sont représentés ici ce soir ne semblent pas vouloir céder au chantage« .
Mention spéciale :
Le Standard (St. Catharines, Ontario) a reçu une mention spéciale pour une enquête approfondie sur le Commission municipale hydro-électrique et son administration. A la suite des reportages réalisés par la journaliste Carol Alaimo, il y a eu une vérification spéciale des états financiers de l’Hydro, un directeur général au salaire annuel de 100 000 $ a été congédié, le maire et le président ont démissionné du conseil d’administration de l’organisme, une enquête de gestion a été réalisée et le conseil municipal a même adopté une résolution officielle pour remercier le Standard et Madame Alaimo. De plus, à la suite de l’enquête, les tarifs ont été réduits pour les consommateurs. Les juges du Prix Michener ont noté que les plus petits journaux n’avaient pas besoin des ressources des grands médias métropolitains pour faire une différence dans leur milieu. L’enquête menée par le Standard l’a bien établi, et les juges en ont tenu compte.
Des mentions d’honneur ont été accordées à :
Le quotidien Edmonton Journal (gagnant du Prix Michener l’année dernière) pour deux dossiers qui témoignent de l’intérêt continu et croissant des Canadiens pour leur santé personnelle et aussi pour la performance des services de santé. Les juges ont réuni les deux dossiers. L’un consistait en plus de 200 articles publiés sur plusieurs mois au sujet des problèmes affectant la santé des hommes et des femmes, de leur adolescence jusqu’à la soixantaine. Le journal avait aussi organisé des rencontres publiques deux fois par semaine auxquelles il a fallu refuser des participants faute de places. L’autre série d’articles, publiés sur une période de huit jours, a examiné les choix difficiles à faire dans les services de santé à la suite des coupures financières de 25 % imposées par le gouvernement de l’Alberta.
L’émission ‘the fifth estate‘ de CBC pour avoir ouvert les portes des vestiaires sur l’un des aspects les plus sombres du sport canadien, soit le harcèlement sexuel exercé sur les athlètes féminines par leurs instructeurs masculins. L’émission a mis l’accent sur le fait que de nombreuses organisations de sport amateur évitaient le problème en refusant de reconnaître qu’il existait. Comme le disait le réseau CBC dans son dossier de candidature, l’émission a fait la preuve formelle que « de Woodstock à Calgary, des instructeurs masculins de volleyball, d’aviron et de natation avaient pris avantage de leur position d’énorme pouvoir et de confiance en harcelant sexuellement des athlètes, certaines ayant seulement 14 ans« . L’émission a aussi montré que le problème existait dans plusieurs autres organisations amateurs, et ce jusqu’au niveau national, mais que celles-ci continuaient à fermer les yeux. La conclusion de « the fifth estate« plaidait pour la mise en place de codes de conduite comparables à ceux des avocats et des médecins.
Le Toronto Star (aussi finaliste une deuxième année de suite) pour une série en deux parties par la journaliste Lisa Priest sur les difficultés éprouvées par les victimes de cancer du sein à obtenir des traitements en Ontario. Comme bien d’autres enquêtes journalistiques, celle-ci a commencé par un appel logé par une patiente qui se plaignait des délais pour obtenir ses traitements de radiothérapie. Lisa Priest a découvert que les femmes de la région de Toronto devaient se rendre dans le Nord de la province pendant six semaines pour suivre leurs traitements après une intervention chirurgicale. Des médecins ont même admis avec réticence qu’ils pratiquaient des chirurgies plus invasives que nécessaire parce qu’ils craignaient que leurs patientes ne puissent avoir accès aux traitements nécessaires à leur état. A la suite de ces reportages, le gouvernement de l’Ontario a agi rapidement pour augmenter de 26 le nombre de spécialistes en radiologie et a entrepris de créer un plan de traitements à long terme pour les cas de cancer du sein.
Les juges du Prix Michener 1993 :
Arch MacKenzie, président du jury, ex-chef de bureau à Ottawa pour la Presse canadienne et le Toronto Star; Jeannine Locke, ex-journaliste au Saskatoon Star-Phoenix, au Ottawa Citizen et au Toronto Star, maintenant retraitée comme réalisatrice de films à CBC; Marilyn MacDonald, ex-journaliste de magazines et de CBC dans les Maritimes, présentement directrice des relations publiques à l’université Dalhousie, à Halifax ; Barry Mullin, ex-ombudsman au Winnipeg Free Press, maintenant professeur de journalisme à l’université de Winnipeg ; et Guy Rondeau, ex-chef du bureau de Montréal pour la Presse canadienne.
Les juges pour les Bourses 1994 :
Le sénateur Keith Davey, président du jury; Sandy Baird, ex-éditeur du Kitchener-Waterloo Record; Diane Filer, directrice retraitée des relations internationales à CBC; Emmanuelle Gattuso, ex-cadre supérieure à l’Association canadienne des diffuseurs ; et Jody White, consultant en affaires publiques à Ottawa et ex-conseiller sénior auprès de Joe Clark et Kim Campbell.
La différence entre le Prix Michener et d’autres prix de journalisme consiste dans son aspect d’intérêt public. L’excellence journalistique à elle seule n’est pas suffisante.