La petite fille me racontait comment, dans l’émission, une jeune de seize ans « a dû se faire avorter ». Sans en parler avec sa famille, elle est allée en clinique avec la blonde de son père. Mais cela a mal tourné car le père s’est fâché avec sa blonde quand il a tout appris. Autrement dit, si toute cette aventure était restée cachée, il n’y aurait pas eu de problème.
J’en ai parlé avec mes amis et des collègues. Je me suis rendue compte que c’est très difficile de discuter de l’avortement avec qui que se soit. Car on se regarde en chien de faïence en attendant de coller une étiquette à l’autre: Pro-Vie, Pro-Choix. Souvent, dans notre couverture des débats sur l’avortement, nous faisons instinctivement appel aux porte-parole de Pro-Vie et de Pro-Choix dans l’espoir de présenter les deux côtés de la médaille.
Mais les sondages nous montrent que peu de gens ont réussi à développer leur propre pensée suffisamment pour appuyer un de ces groupes. Seulement 27% des répondants à un sondage Gallup du15 janvier 1990 se disaient d’accord avec l’avortement légal dans n’importe quelle circonstance.
Je suis réalisatrice de documentaires. Les affectations de tous les jours ne nous donnent pas le loisir de chercher avec l’unique but de comprendre. Lorsque j’ai aperçu l’annonce du concours de bourse de la Fondation Roland Michener, j’ai vu mon inspiration prendre forme.
J’ai soumis ma candidature pour étudier la question. Et j’ai obtenu la bourse d’étude de quatre mois. En ce moment j’y travaille. Je veux explorer la zone grise de l’opinion publique. Je veux comprendre pourquoi de si nombreuses femmes considèrent leur grossesse comme un malheur insupportable. Pour les très jeunes, il y a des raisons évidentes. Cependant, pourquoi est-ce encore un sujet si tabou? Qu’est-ce qui pourrait favoriser un dialogue plus ouvert, plus souple, plus généreux?
Je lis, j’interroge, je visite les cliniques, je parle à des jeunes femmes enceintes et à des moins jeunes. J’espère que cela m’a rendue personnellement plus souple et plus généreuse.
Des idées de réalisation fourmillent dans ma tête. J’en ferai pour Le Point et j’en ferai pour une utilisation plus personnelle.
J’ai le même loisir que pendant mes études, mais avec davantage de feu sacré. Et certainement, j’ai plus de méthode. J’ai appris à prendre mon temps pour bien savourer un article ou un document. J’ai eu le luxe de développer des projets après avoir fait la recherche.
Je travaille seule. La responsabilité n’en est que plus grande. En même temps, je constate déjà que ces quelques mois de « recherche pure » m’ont été fort précieux.
Kristine von Hlatky,
réalisatrice,
Le Point,
Boursière de la Fondation Roland Michener 1989
La bourse de la Fondation des Prix Michener, instituée en 1987, est aujourd’hui connue sous le nom de la Bourse Michener-Deacon (du nom de l’ancien gouverneur général et de celui du regretté Paul Deacon, un gestionnaire supérieur des médias qui fut aussi président de la Fondation). Elle a pour but de promouvoir les études en journalisme ainsi que les valeurs qui favorisent le service à la collectivité. Une ou deux bourses sont décernées annuellement à des journalistes d’expérience afin de leur permettre de prendre un congé d’études de quatre mois pour se perfectionner sur le plan du journalisme au service de la collectivité.