Par: Catherine Cano, journaliste et réalisatrice.
Je suis ce qu’on appelle une « Radio-Canadienne ». Rivée dès l’âge de 4 ans devant l’écran de télé à 16 heures pour écouter Bobino suivit du «pirate maboule», de «La ribouldingue» ou de «sol et gobelet», je suis de la génération qui, quelques années plus tard, ne jurait que par Bernard Derome et le Téléjournal pour être informée. Je suis de ceux et celles qui rêvaient même d’y travailler et qui ont réalisé leur rêve. Il y a 20 ans, on ne remettait pas en cause Radio-Canada. Il s’agissait d’une véritable institution, pratiquement intouchable.
Depuis quelques années les réseaux privés canadiens assiègent Radio-Canada en présentant des programmes similaires et la multiplication des canaux a fragmenté l’auditoire; un auditoire que la SRC a tenté de conserver en modifiant sa programmation dans sa forme et son contenu. Par conséquent, on remet beaucoup en question le mandat et la raison d’être de la SRC et l’idée de la privatiser a ébranlé ses assises.
Dans ce contexte, le but de mon projet proposé au Prix Michener se voulait tout d’abord une vérification de la pertinence de l’existence de la télévision publique au Canada. La première étape à franchir pour répondre à cette question était de revoir en profondeur l’évolution de la vision et du mandat de la Société d’état depuis sa création.
L’idée de créer un service de diffusion national est venue de l’urgence de lier l’Est et l’Ouest, le Sud et le Nord du pays pour contrecarrer l’expansion de la culture américaine et éventuellement la domination de cette dernière sur notre territoire. C’était une question de respect du droit démocratique des Canadiens de se voir et de voir le reste du monde à travers des yeux Canadiens et non Américains. La commission Royale sur la radiodiffusion de 1929, présidée par Sir John Aird avait donc, dès le départ, une vision très claire. D’abord, offrir un contenu canadien ; ensuite, promouvoir l’unité nationale ; troisièmement, être un service public reflétant l’intérêt public et enfin, poursuivre la démocratisation de l’état grâce à l’éducation de sa population.
« Broadcasting, primarily, is an instrument of education in its widest significance, ranging from play to learning, from recreation to the cultivation of public opinion, and its concerns and influences not any single element in the community, but the community as a whole. » « A national radio system, intelligently directed, …would enable different sections of Canada to speak their hopes and problems unto the others »(Graham Spry (1931) A case of national broadcasting, in Missed Opportunities, p.36)
Malheureusement, cette vision sociale et démocratique de la radiodiffusion par et pour les canadiens ne sera jamais définie dans aucun des mandats de Radio-Canada. En fait, malgré la loi sur la radiodiffusion de 1932 et les lois subséquentes qui créeront officiellement et régiront la Société d’état, (1936 et 1958), il faudra attendre jusqu’à la loi de 1968 pour même y voir la définition d’un mandat. Et quel mandat! Le contenu de Radio-Canada devait être à prédominance canadienne ; enrichissant ; centré sur l’information et le divertissement ; refléter les régions et la vie culturelle canadienne ; et contribuer à l’unité nationale. De ce très vaste rôle, dominera celui relié à l’unité nationale qui contrairement au sens social qu’il lui avait été attribué en 1927, prendra un sens politique.
Déjà accusée d’être devenue un instrument politique durant la deuxième guerre mondiale, on a longtemps fait référence à la SRC-CBC comme « The government’s CBC ». Il faut dire que la Société n’a pas aidé sa cause. Au cours des décennies, elle a annulé des émissions importantes telles « Citizen Forum (1949) »; une émission favorisant le débat sur des dossiers controversés, « Preview Commentrary (1959)» ; un programme sur la politique fédérale et « This Hour has seven days ». Selon les politiques journalistiques de CBC en 1959 : « news would never be presented in such a way as to encourage antagonisms which could be dangerous to national unity ». Plusieurs ont dénoncé les liens trop étroits entre le gouvernement et la CBC caractérisant cette dernière de «mass propaganda agency».
La controverse sur l’indépendance journalistique de la corporation a atteint son apogée sous le gouvernement Trudeau. La Société d’état était alors accusée de servir de courroie de transmission au gouvernement fédéral. Des décisions de la SRC ont donc été remises en question, comme celle d’ordonner aux journalistes de ne pas tourner les images de policiers attaquant des manifestants lors d’un défilé célèbre de la St-Jean-Baptiste. Un journaliste avait été suspendu pour avoir diffusé le matériel et parlé de la violence. Certains membres du cabinet iront plus loin. Selon eux, la SRC favorisait même le mouvement séparatiste. L’ancien ministre André Ouellet n’hésitera pas à demander au ministre Gérard Pelletier, s’il : « at last agree that a clean-up is required at all levels of CBC…so that the CBC will no longer be used as a medium for separatist propaganda. » Malgré le non catégorique de Pelletier, les tentatives d’ingérences éditoriales étaient manifestes.
Ce débat s’est estompé au cours des deux dernières décennies pour faire place à celui relié aux nombreuses coupures de budgets. Coupures qui n’ont pas empêché le gouvernement d’élargir le rôle de SRC-CBC dans la dernière loi sur la télédiffusion de 1991. La Société devra mettre encore plus d’emphase sur la programmation régionale. Une impossibilité selon le Président de la SRC, Robert Rabinovitch : « In those areas we may have to withdraw, because we cannot be all things to all people. The mandate, as it is expanded to include local news coverage etc.,cannot be fulfilled under the existing budgetary circumstance». Par la suite, la programmation dans les régions a été coupée de moitié.
À l’origine donc, CBC devait être un outil de démocratisation et permettre aux Canadiens à travers le pays d’apprendre les uns des autres. Mais, la vision et les mandats de SRC-CBC ont bien changé depuis 1927. Tant les pressions politiques, que les coupures budgétaires, et/ou la centralisation de la programmation ont fait oublier la véritable raison d’être de l’Institution.
La SRC-CBC n’a pas réussi et ne réussit toujours pas à communiquer la culture (dans son sens large) des Canadiens-français aux Canadiens-anglais et vice-versa. La CBC et la SRC sont deux réseaux parallèles qui fonctionnent en très grande partie séparément et qui se considèrent, à plusieurs niveaux, comme des compétiteurs. Même à l’intérieur du réseau français et anglais, il y a des guerres de territoires entre les départements. Pour être l’instrument de démocratie tel que souhaité à sa création, les deux réseaux doivent faire preuve d’ouverture d’esprit et travailler en collaboration.
Dans cette optique, la section de l’information de la télévision française a procédé cette année à la création du CDI , le centre de l’information ; une tentative de rapprochement entre les émissions d’informations de la première chaîne et RDI. Toutes les émissions ce sont retrouvées dans un lieu de travail commun. Par exemple, les différents recherchistes ont été regroupés pour servir toutes les émissions. De la même manière, un module international génère manchettes et montages pour tout le monde. Est-ce que cette démarche de centralisation devrait être perpétuée voir même élargie pour y inclure les réseaux français et anglais, la radio, le régional?
Bien qu’il y ait des avantages à mettre des efforts en commun, il y a très certainement un danger à harmoniser, à uniformiser la production, à encourager le partage des ressources, à réduire les coûts de production en intégrant des forces distinctes. Ce danger s’appelle «la pensée unique» ; un phénomène que la mondialisation des médias ne fait qu’accentuer. On a qu’à penser à la convergence des médias dont le but est d’éliminer la compétition ; ce qui par le fait même amène un monopole de la pensée et des opinions. Dans ce contexte, c’est le devoir de la télé et radio publique d’assurer un traitement diversifié de la nouvelle, de provoquer les débats et de présenter toutes les facettes d’une information. La population a le devoir d’exiger de son radio-télédiffuseur publique un haut standard de qualité et un contenu totalement indépendant de toute influence. Il n’y a pas de doute que la mondialisation des médias rend encore plus impératif l’existence d’une télévision et d’une radio publique indépendante au Canada ; une radio-télé publique qui est un véritable reflet de la réalité canadienne. Et pour refléter la réalité canadienne dans sa diversité, il faut comprendre que c’est dans la reconnaissance de cette diversité que nous formons un tout.
La reconnaissance de cette diversité peut et doit passer par une modification des structures dont l’avantage n’est pas seulement économique. Les murs doivent tomber et le travail en vase clos découragé. Pour y arriver, il faut revoir aussi notre approche et changer les mentalités. Et pour réussir là où plusieurs ont échoué, deux choses s’imposent : D’abord, une ouverture d’esprit entre dirigeants et entre artisans quant à l’apport de chacune des branches de la SRC-CBC. (radio versus télé, régional versus national, anglais versus français, nouvelles versus affaires publiques).
Deuxièmement, convaincre chacun des artisans que la coopération n’est pas synonyme de fusion ou d’assimilation ; faire la démonstration que les différentes approches éditoriales seront respectées ; qu’une intégration ne se fera pas au profit d’une pensée dominante. (Compte tenu de la constante critique quant à la trop grande proximité du gouvernement fédéral, les dirigeants de la SRC-CBC auront tout intérêt à promouvoir la diversité d’opinions et d’identités qui caractérisent les Canadiens).
C’est seulement dans ce contexte que la SRC-CBC retrouvera sa raison d’être et redeviendra un outil de démocratisation.
Bien sûr, faire l’analyse de l’avenir d’une si grande Institution est complexe. Plusieurs facteurs doivent être pris en considération. La bourse Michener-Deacon m’a permis de réaliser l’ampleur du sujet et de faire une première analyse. Elle m’a surtout permis de constater qu’il fallait approfondir si je voulais produire plus qu’un simple constat. Je suis donc à poursuivre une maîtrise à l’Université Carleton qui sera complétée d’ici l’an prochain. Jusqu’à présent, j’ai écrit un essai sur l’évolution de la vision et du mandat de Radio-Canada depuis 1927. Un autre traitant de l’impact des nouveaux médias sur les émissions d’informations traditionnelles, telles que le « Téléjournal » de Radio-Canada et le « National » de la CBC à partir d’une analyse des nouveaux médias versus la presse écrite. Enfin, une étude comparative des réseaux de télévisions américains, australiens et de la Grande-Bretagne sur la couverture nouvelle pendant les élections américaines de 2000 et le développement des notions d’objectivité en journalisme et du « pack journalism. »
Catherine Cano,
Réalisateur-en-chef,
Télévision de Radio-Canada,
Montréal,
2000.