L’enquête de 18 mois de cet hebdomadaire, doyen des journaux francophones d’Amérique, a culminé au printemps 2008 avec la publication d’un dossier percutant intitulé « Le Cégep de tous les excès« , sur le gaspillage de fonds publics, des contributions politiques illégales, d’allocations de dépenses soumises à aucune vérification ni approbation, et de missions internationales suspectes. Le dossier a amené le Vérificateur général du Québec à réaliser une enquête afférente et à formuler des recommandations visant à améliorer la gouvernance des Cégeps.

Excellences, Finalistes, Distingués invités, Mesdames et messieurs.
Pourquoi un grand reportage sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste au Québec et en Amérique du Nord ? Pour l’émission Découverte de la télévision de Radio-Canada, la réponse était claire, tant ce sujet était d’actualité dans le contexte de la politique énergétique du Québec et du Canada. Mais il nous est apparu qu’il était pertinent et d’intérêt public de poser la question : le gaz de schiste, avec quel impact sur l’environnement, à quel prix pour l’environnement ?
Cette enquête journalistique a pris la forme d’une émission spéciale de Découverte diffusée le dimanche 14 novembre 2010, soit un grand reportage d’une heure intitulé « La ruée vers le gaz de schiste » et d’un reportage au téléjournal de Radio-Canada le mardi 31 août « Gaz de schiste : l’expérience américaine » issu du même travail journalistique et produit par la même équipe, journaliste et réalisateur.
Les deux reportages présentés sont le fruit d’un travail journalistique ayant débuté en février 2010. L’industrie du gaz de schiste, tant au Québec qu’ailleurs en Amérique du nord, étant très discrète sur ses intentions et sur ses pratiques, la recherche d’informations précises a été longue et ardue. Pour comprendre comment on forait des puits pour le gaz de schiste, comment on les exploitait et quels étaient les impacts environnementaux de ces activités, il a fallu examiner de très nombreux rapports et articles techniques, contacter de nombreux experts techniques, tant de l’industrie que des gouvernements et des universités, au Canada et aux États-Unis.
Il a en outre fallu négocier des accès pour filmer des opérations jusqu’ici jamais filmées à notre connaissance, comme une fracturation de shale, ce que nous avons réussi en juin au Québec. Ou réussir à filmer les puits qui sont à la source d’un accident majeur de contamination à Dimock, Pennsylvanie, ce qui est aussi une première à notre connaissance – même si des médias écrits en ont parlé, aucune télévision ne semble avoir eu cet accès.
Ces deux reportages ont eu un impact médiatique important. Dans un débat public caractérisé alors par très peu d’informations précises de première main, le reportage que nous avons produit pour le Téléjournal le 31 août, à l’heure où le gouvernement décidait de créer une commission d’enquête du BAPE sur cette question, a profondément marqué l’actualité.
Il s’agit d’une partie de notre enquête déjà prête, que nous avons décidé de livrer au TJ pour répondre aux besoins pressants d’actualité. Bien que nous n’étions pas les premiers à décrire des forages et révéler le cas des citoyens de Dimock, Pennsylvanie, privés d’eau potable par contamination par l’entreprise Cabot de leurs puits au méthane suite à des forages, la précision de nos informations a été un révélateur pour de nombreux médias québécois.
Invité à commenter cette expérience en direct au TJ, le ministre de l’environnement du Québec s’est déclaré « ébranlé » par nos révélations. Quelques semaines plus tard, le ministère de l’environnement lançait discrètement une série d’inspections des puits de gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, inspections qui, pensons-nous, ont été en partie motivés par les faits révélés dans notre reportage.
Ensuite, la diffusion de notre émission du 14 novembre – à l’heure où le débat au Québec était extrêmement chaud, la veille de la reprise des audiences du BAPE – nous a valu plus d’une centaine de messages écrits d’appréciation et d’intérêt. Aussi, l’émission a été citée lors des audiences du BAPE par des citoyens en appui à leurs questions. Enfin, des représentants de médias ou de municipalités ont posé des questions d’éclaircissement soit aux ministères soit entreprises gazières, en s’appuyant sur les informations que nous avons diffusées.
Nous avons fait dans ce cas, pensons-nous, œuvre de journalisme d’intérêt public. Ce type de journalisme comporte traditionnellement deux types d’éléments. L’un est celui de l’enquête, censée révéler des faits cachés ou des dysfonctionnements du système démocratique; l’autre est l’explication par les faits et la mise en perspective par l’analyse approfondie. Dans l’état actuel des médias, ce type de journalisme subit hélas une certaine érosion. Il doit faire face à des difficultés accrues, notamment l’opacité d’entreprises privées très ou trop conscientes de leur image, et la réticence de certaines institutions gouvernementales à livrer l’information, malgré leur responsabilité publique en ce domaine. Les médias doivent et devront toujours livrer cette bataille, s’ils veulent continuer à contribuer à fournir à la société un service public de qualité.
Merci.
Jean-Pierre Rogel
Rideau Hall
Ottawa le 14 juin, 2011.