
Distingués invités, Mesdames, messieurs, bienvenue à Rideau Hall.
Ce soir, nous rendons hommage au journalisme d’intérêt public et nous célébrons notre bonne fortune de vivre dans un pays où non seulement le journalisme d’enquête est toléré, mais aussi où il est positivement encouragé.
Je dois avouer qu’au moment de préparer mes notes pour cette 25e célébration du Prix Michener, je me suis senti plus qu’un peu nostalgique en songeant à ce que le poète Robert Frost appelait « la route non empruntée« .
Au moment où je vous regarde tous et toutes qui êtes ici ce soir, j’ai de la difficulté à retenir cette envie soudaine de savoir ce qui serait arrivé si j’avais poursuivi ma carrière de journaliste. Et quel regroupement de talent, d’influence et d’énergie vous constituez !
Je vois parmi vous des gens de mon âge et des modèles qui sont restés dans cette voie et qui sont maintenant des légendes des premières pages, des gens comme Bill MacPherson et Fraser MacDougall.
J’aperçois aussi quelques-uns de leurs contemporains qui se retrouvent du côté électronique: Tom Earle, par exemple, qui a contribué à briser les murs d’élitisme qui avaient été érigés par les médias écrits sur la colline du Parlement.
Je me réjouis également de voir parmi nous de nouveaux visages, des étudiants en journalisme, de jeunes reporters au tout début de leur carrière. Vous êtes les héritiers de ces grands journalistes que je viens de nommer et de nombreux autres tout aussi grands. Vous avez choisi de joindre les rangs d’une profession qui possède une longue et fière tradition. J’espère que vous aller persévérer dans cette direction, que vous aller poursuivre la carrière que vous avez choisie, et qu’un jour vous reviendrez à Rideau Hall à titre de finaliste du Prix Michener.
En 1967, alors que j’étais correspondant de Radio-Canada à Washington, j’ai reçu un appel téléphonique de Lester Pearson. C’est à ce moment que je suis passé de l’autre côté du microphone et que j’ai joint le bureau de M. Pearson à titre de secrétaire de presse. Le reste, comme on dit au sujet des statistiques de baseball, fait partie de l’histoire, et me voici devant vous.
C’est un des mes prédécesseurs dans cette fonction de Gouverneur général, John Buchanan – Lord Tweedsmuir – qui décrivait la vie publique comme le couronnement d’une carrière et la plus noble des ambitions. Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi cette voie, mais lors d’un événement comme celui de ce soir je me sens très fier de mes années en journalisme.
C’est un métier difficile et trop souvent ingrat. Les prix d’excellence en journalisme devraient être beaucoup plus nombreux parce que nous avons une grande dette de reconnaissance envers nos journalistes.
La liberté de rapporter les faits et la liberté de les commenter font partie des droits inaliénables des journalistes. Et je crois également qu’avec toutes ces libertés il existe également des obligations qui y correspondent et, dans ce cas, celles de rapporter fidèlement et de commenter de façon responsable. Certains d’entre vous savez sans doute que je crois aussi aux journalistes qui donnent une chance aux bonnes nouvelles. Il y a en effet de bonnes nouvelles dans le monde. Ce sont de vraies nouvelles.
Les découvertes. Les réussites. Les percées dans le monde de la science, de l’éducation, de la santé. Pensez à la réaction des parents lorsqu’ils ont appris la découverte du vaccin Salk contre la polio. Il s’agissait d’une bonne nouvelle, et elle a obtenu la couverture qu’elle méritait. Mais parfois, il semble y avoir une opinion à l’effet que la bonne nouvelle n’est pas aussi prestigieuse ou aussi avantageuse pour la carrière d’un journaliste.
Laissez moi vous rappeler que le fait de cibler la bonne nouvelle, et j’insiste sur le mot « nouvelle« , sert aussi très bien l’intérêt public ; aussi bien que de cibler les histoires de corruption et d’abus de la confiance des citoyens. Nous sommes un meilleur pays du seul fait de ces deux volets.
Et aussi parce que le journalisme implique bien davantage que les seuls reporters de première ligne, je crois que l’esprit du Prix Michener qui récompense les organismes de presse est une bonne façon de faire. Ce Prix reconnaît, comme le milieu des médias aime bien le dire, les efforts et l’énergie mis derrière la nouvelle : les pupitres d’assignation, les producteurs, les metteurs en page, les équipes de caméra et de son, les recherchistes, les archivistes, les techniciens, les correcteurs, et même ceux qu’on voit le moins et dont on ignore souvent les noms, les propriétaires et les directeurs qui travaillent dans les coins les plus reculés des sièges sociaux. L’excellence en journalisme est un travail d’équipe, et le Prix Michener est décerné à une équipe.
Les équipe et les organismes de presse au Canada ont besoin plus que jamais du coup de pouce que la reconnaissance publique peut leur donner. Il n’a jamais été aussi difficile de prospérer, voire simplement de survivre. Les coûts et la concurrence augmentent, alors que les recettes publicitaires diminuent. Les tendances nouvelles comme la mondialisation et les super satellites menacent de rendre même nos plus importants médias aussi désuets que les caractères d’imprimerie en plomb.
Les pressions pour réduire les dépenses et combler le temps d’antenne ou les colonnes de journal le plus économiquement possible sont énormes. Comme les 51 candidatures au Prix Michener de cette année le montrent bien, les organismes de presse au Canada n’ont pas encore cédé à ces pressions. Ils soutiennent leurs journalistes d’enquête et font le choix difficile de financer leurs recherches journalistiques.
Les résultats obtenus, comme le démontrent bien les six finalistes de cette année, valaient bien le risque financier encouru. Chacune des candidatures au Prix Michener de cette année représente une victoire ; le triomphe du sérieux sur les potins, du travail bien fait, ainsi que du refus entêté d’être ignoré, de se contenter d’un communiqué de presse, de se laisser leurrer par les relationnistes.
Je suis bien conscient des pressions, économiques et autres qui pèsent sur les organismes de presse au Canada au moment où nous abordons les dernières années du 20e siècle. Mais je suis aussi confiant que vous allez persévérer. Vous avez une énorme responsabilité à porter sur vos épaules, mais je suis fier de dire que vous relevez le défi de façon exceptionnelle.
Merci beaucoup.
Le Trés Honorable Roméo LeBlanc,
Gouverneur général du Canada,
Rideau Hall, Ottawa,
le vendredi 12 mai 1995.