
Mon mari Jean-Daniel Lafond et moi-même sommes très heureux de vous accueillir à Rideau Hall, où se tenait plus tôt aujourd’hui le vingt-septième Point des arts.
Qu’est-ce que le Point des arts?
À l’occasion de chaque remise de prix du gouverneur général, nous organisons un forum de discussions qui se veut un espace de dialogue et de réflexion sur les arts et la culture.
Or, le journalisme n’est-il pas un art?
Nous avons donc réuni ce matin des journalistes, différents représentants et artisans des médias écrits et électroniques, des penseurs et des créateurs. Nous nous sommes penchés sur la manière dont vérité et vraisemblance traversent l’espace des médias et sont répercutées dans l’espace public.
Nous avons souligné à grands traits l’importance du discernement, de la rigueur et du temps pour approfondir et rendre les faits.
Nous avons parlé de la nécessité d’un journalisme marqué au sceau de la mémoire, de la conscience, de la pensée critique, l’esprit de nuance et la connaissance. Un journalisme qui va au devant des réalités, qui défait les préjugés, les idées préconçues et élargit notre compréhension.
Il a beaucoup été question aussi de la façon dont la diversité et la pluralité des points de vue dans notre pays ont du mal à être reflétées.
C’est la troisième fois que je participe à la remise du Prix Michener depuis mon installation à la fonction de gouverneur général du Canada en 2005. Permettez-moi de vous confier que ces prix revêtent pour moi une signification toute particulière. Car, comme plusieurs d’entre vous le savez, j’ai été journaliste avant que de défrayer moi-même les manchettes.
Et l’une des premières choses que j’ai apprises en arrivant à Ottawa, c’est en quelque sorte l’envers de la pratique journalistique. Celui qui consiste à être l’objet des nouvelles, voire à être parfois le prétexte pour vendre de la copie. Ce n’est pas toujours facile.
Mon récent voyage en France, que j’ai entrepris comme tous les autres voyages officiels qui m’ont conduite en Italie, en Haïti, au Chili, en Algérie, au Mali, au Ghana, en Afrique du sud, au Maroc, en Afghanistan, en République tchèque, au Brésil et en Argentine, a marqué un apogée dans le genre.
Y étais-je en vertu d’un « complot », pour « voler la vedette », selon plusieurs titres à la une, ou plus pernicieusement, pour mettre en valeur mon accent « pointu », aux dires de certains?
Je dirais plus simplement que j’y étais à titre de chef d’État, francophone, Québécoise, et fière de représenter l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens, en cette année solennelle, je dirais, où nous commémorons une page décisive de notre histoire collective : le quatre centième anniversaire de la fondation de la ville de Québec.
J’ai aussi découvert, dans la foulée de ce voyage, avec quelle verve les images prennent parfois le relais des mots. La caricature, disait Gérard Pelletier, « est le sourire du journalisme ».
Aussi, c’est avec sincérité, et autant d’humour, que j’aimerais rendre hommage ce soir, devant vous, à tous les caricaturistes, et pas seulement ceux qui m’ont gratifiée de leurs images, car leur seule présence nous permet de mesurer la liberté dont nous jouissons dans ce pays de tous les possibles.
Dans un livre qui retrace l’histoire de la caricature au Canada, l’une d’elles, remontant à 1849 et portant la signature de John Wilson Bengough, représente Lord Elgin, alors gouverneur général du Canada, en ermite. La légende explique qu’on lui reprochait de s’exclure du monde et de s’isoler dans sa résidence officielle, à Monklands. De récentes caricatures me portent à croire que c’est plutôt du contraire que l’on m’accuserait.
Blague à part, réjouissons-nous de l’apport des caricaturistes à la vie démocratique de ce pays. Après tout, selon la formule de Gérard Pelletier, « la caricature, comme le journalisme authentique dont elle est inséparable, ne fleurit que dans les pays de liberté ».
C’est justement en raison de cette liberté de parole, de cette indépendance d’esprit et de ce souci de défendre le bien public que le journalisme représente, à mes yeux, l’une des assises fondamentales de notre société.
Vous, finalistes du Prix Michener 2007, qui avez misé sur la rigueur, la finesse et la réflexion, le savez mieux que quiconque. Et je tiens à vous dire que c’est non seulement sur votre profession, mais sur l’ensemble de la société, que rejaillit votre sens de l’éthique. Vous êtes des pourvoyeurs de sens dans un monde qui, trop souvent, en semble dépourvu.
L’éclairage que vous donnez aux choses les plus complexes, et la lecture que vous en faites sans céder à la simplification, sont autant un apport essentiel à notre société.
Qu’il s’agisse d’interroger les liens entre le politique et le milieu des affaires au nom de la transparence, de signaler le dépassement considérable des coûts de projets immobiliers d’une institution de Montréal, de s’intéresser au traitement des prisonniers afghans, de faire connaître le niveau élevé de plomb dans l’eau potable à London, d’explorer les dangers d’une éventuelle inondation de la rivière Fraser en Colombie-Britannique ou d’évaluer la sécurité des patients dans les hôpitaux ontariens, les finalistes de cette année font la preuve que le journalisme peut influer sur le cours des choses et modifier notre société pour le mieux.
Je félicite également Denise Davy, du Hamilton Spectator, lauréate de la bourse Michener-Deacon 2008. Madame Davy entend effectuer une enquête sur la situation de la santé mentale des enfants.
Aux organismes de presse, de même qu’à celles et ceux qui tiennent la plume ou le micro, plus particulièrement ce soir aux finalistes du Prix Michener pour le journalisme, je transmets chaleureusement nos remerciements et notre gratitude.
Sans oublier évidemment, permettez-moi d’y revenir, les caricaturistes.
Merci mille fois de rester vigilants devant les atrocités du monde, et inspirants devant ses splendeurs. Merci, surtout, de maintenir le cap sur la vérité alors que tant de choses cherchent à nous en détourner.
La journaliste que j’ai été et la gouverneure générale que je suis devenue vous dit merci de cœur et d’esprit.
La Très Honorable Michaëlle Jean,
Gouverneure générale du Canada,
Rideau Hall, Ottawa,
le 13 juin 2008.
