
Mon mari Jean-Daniel Lafond et moi-même sommes heureux de vous accueillir à Rideau Hall aujourd’hui pour célébrer l’excellence journalistique au Canada.
Ce métier qui est le vôtre a été aussi le mien et, comme vous, je l’ai pratiqué avec conviction et passion. Aussi permettez-moi, en guise d’ouverture, de poser une question qui n’a cessé de me préoccuper alors que j’étais journaliste et qui continue de m’interpeller.
C’est une question à laquelle vous apportez une réponse par votre propre éthique de travail que nous saluons ce soir, et dont nous avons débattu plus tôt aujourd’hui dans le cadre du Point des arts, cet espace de discussion que nous tenons ici et sur la route pour aborder les grandes questions de l’heure.
Qu’est-ce qu’informer? C’est peut-être la plus grande responsabilité qui vous incombe. Cette responsabilité consiste à rendre compte en acceptant d’aller au plus près de la complexité du monde. Cette responsabilité consiste à soulever des questions pour lesquelles il y a plusieurs réponses possibles.
Tout se joue ici dans la pluralité. Pluralité des voix, des faits, des sources. C’est un travail sérieux, qui prend du temps et nécessite de la rigueur. De l’audace aussi, et de l’acuité. Je dirais une grande présence au monde. C’est savoir se livrer à un questionnement perpétuel. Sans quoi le danger de la sur-simplification nous guette. Et la sur-simplification alimente les préjugés et désinforme.
Plus on cultive l’esprit des nuances, et plus on fait avancer les mentalités. C’est ma conviction la plus profonde, et c’est ce que m’inspire le travail journalistique mis à l’honneur ce soir. Il s’agit d’inciter la population à réfléchir sur les enjeux de notre société. Il s’agit d’interroger sans relâche ce qui est passé sous silence. Il s’agit d’ouvrir les yeux et les cœurs à des réalités qui appellent l’action.
Soyez assurés que je mesure bien le poids de votre responsabilité et de votre tâche. Mais le lien de confiance entre vous et les citoyens et les fondements mêmes de notre démocratie en dépendent.
Vous, finalistes du Prix Michener 2006, qui avez misé sur la rigueur, la nuance et la réflexion, le savez mieux que quiconque. Ne pas céder au sensationnalisme, à l’info-spectacle, au vite-fait, est une responsabilité que vous avez endossée pleinement, et nous vous en félicitons.
Car c’est sur toute la profession que rejaillit ce soir votre sens de l’éthique. Vous nous rappelez avec éloquence que dans un monde où les informations circulent massivement et sans arrêt, où l’on a parfois l’impression de perdre pied, vous êtes des pourvoyeurs de sens.
Le Prix Michener vise justement à honorer les organismes de presse qui sont en quête de sens possibles à donner à l’actualité. L’excellence journalistique, vous en êtes la preuve irréfutable, repose à la fois sur l’indépendance d’esprit, la liberté de parole et l’intérêt public.
Qu’il s’agisse de la vente des billets de loterie, des conditions de traitement du cancer au Canada, des incidents dans le secteur du transport aérien, des répercussions du changement climatique sur l’Arctique, de la fixation du prix de l’alcool au Québec ou de la sécurité dans l’industrie forestière, les finalistes de cette année ont contribué à modifier notre société pour le mieux.
Je félicite également Chris Cobb, journaliste du Ottawa Citizen, lauréat de la bourse Michener-Deacon 2007. M. Cobb entend faire le point sur la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, à l’occasion du dixième anniversaire de sa signature à Ottawa.
Lorsqu’il « informe de manière fiable et commente avec soin », pour reprendre l’expression du philosophe Habermas, le journalisme devient source de transformation sociale.
Aux organismes de presse, de même qu’à celles et ceux qui ont tenu la plume ou le micro, je transmets chaleureusement nos remerciements et notre gratitude.
Je vous félicite aussi, et peut-être surtout, de savoir parfois « résister à l’air du temps » comme le disait Camus, devant les complexités de notre monde et au nom de la vérité et de la liberté.
Merci de ne pas céder à la tentation de surfer sur des évidences.
La Très Honorable Michaëlle Jean,
Gouverneure générale du Canada,
Rideau Hall, Ottawa,
le 8 juin 2007.
