
Ottawa, le samedi 8 novembre 1980.- Des articles consacrés à l’empoisonnement par le fluor sur l’Île Cornwall ont valu au quotidien Kingston Whig-Standard de remporter le 10e Prix Michener attribué annuellement pour excellence en journalisme d’intérêt public au Canada.
Ces articles étaient le résultat d’une enquête sur les émissions provenant d’une usine d’aluminium de Massena, dans l’état de New York, appartenant à la société Reynolds Metals. Ces émissions se retrouvaient jusque sur une réserve indienne située sur l’Île Cornwall, mettant en danger la santé des Indiens, du bétail ainsi que de la végétation. Le journal a entrepris son travail à partir d’un rapport vieux de six mois réalisé par le Conseil national de la recherche. Ce rapport publié à la fin de 1978 était passé inaperçu, mais avait établi que l’Île Cornwall représentait bien un cas de pollution de l’environnement.
Le Whig-Standard a été honoré lors d’un gala tenu à Rideau Hall sous la présidence du Gouverneur général Edward Schreyer et en présence de deux de ses prédécesseurs, Roland Michener, qui a donné son nom à cette prestigieuse récompense, et Jules Léger, tous deux accompagnés de leur épouse. Le rédacteur en chef du Whig Standard, Harvey Schacter, a reçu le Prix Michener au nom de son journal.
Le quotidien Edmonton Journal a obtenu une mention spéciale, alors que des mentions d’honneur ont été accordées au Calgary Albertan, au Calgary Herald et au Toronto Star (voir les détails plus loin dans ce texte). Le Gouverneur général Schreyer a félicité tous les finalistes et a souligné à quel point « les Canadiens étaient favorisés de vivre dans un pays qui chérissait la liberté de la presse. Nous devons préserver jalousement cette liberté« , a-t-il dit (Voir le texte complet du Gouverneur général). Un total de 26 organismes de presse avaient soumis leur candidature pour le Prix Michener 1979.
Les juges ont attribué le Prix au Whig-Standard pour sa puissante et dramatique série d’articles sur l’empoisonnement par le fluor dans l’Île Cornwall. La série a eu un impact considérable, amenant le gouvernement canadien à s’occuper d’un problème qu’il connaissait depuis cinq ans sans jamais intervenir pour le solutionner. La série a aussi embarrassé le gouvernement ontarien qui avait posé des gestes maladroits et entourés de secret. Enfin, les articles ont secoué le public apathique qui a pris conscience des dangers liés à un polluant industriel ordinairement considéré comme un simple outil servant à prévenir la carie dentaire chez les enfants. Les membres du jury ont aussi souligné que les reportages du Whig-Standard témoignaient « d’une ténacité à toute épreuve dans le but de dévoiler des faits ignorés tant au Canada qu’aux États-Unis« .
Dans la cadre de sa série de reportages, le Whig-Standard a aussi révélé la présence d’émissions de fluor excédant les normes acceptables à Brampton et à Rosedale, lieux de résidence du premier ministre ontarien William Davis et du ministre canadien de la Santé David Crombie. L’équipe de reportage était composée des journalistes Penny Stuart, Karl Polzer, Sylvia Wright et Ann Lukits, ainsi que des cadres Norris MacDonald, Shelagh Stanley et Harvey Schachter. Cette équipe représentait le quart de tout le personnel de rédaction du journal à Kingston et sa région immédiate.
Une mention spéciale :
Le quotidien Edmonton Journal a reçu une mention spéciale pour une autre dramatique série d’articles sur la façon dont certains enfants perturbés étaient traités par un centre du gouvernement qui les enfermait dans de petites pièces mal ventilées – appelées « chambres de réflexion » – à titre de punition, même dans le cas de légers méfaits.
La série de 45 articles a déclenché une enquête menée par l’ombudsman de l’Alberta, le Dr Randall Ivany. Son rapport citait la série d’articles de la journaliste Wendy Koenig et lui attribuait, à elle et son journal, le crédit pour avoir provoqué son enquête. L’une de ses recommandations suggérait de limiter à 45 minutes au maximum « la mise en cellule« dans les centres pour jeunes dirigés par le gouvernement provincial.
Le Journal a indiqué que la série avait été réalisée sous un barrage constant de pressions qui s’opposaient à sa publication. Le Ministère des services sociaux de la province a émis une directive interdisant à ses employés de formuler des commentaires. Le directeur de Westfield, le centre mis en cause, a tenté d’empêcher les journalistes de mener leurs recherches et de publier leurs articles. Un groupe d’employés de Westfield ont déposé une poursuite judiciaire en diffamation contre le quotidien. Le sous-ministre des Services sociaux a même adressé une lettre au directeur du Journal dans laquelle il s’en prenait à la réputation des journalistes.
Des mentions d’honneur ont été accordées :
-au Calgary Herald pour avoir révélé une entente intervenue entre deux détectives de Calgary et un criminel avoué, entente en vertu de laquelle ce dernier devait s’introduire illégalement à trois reprises dans une maison dans le cadre d’une enquête sur le trafic de drogues. Informés de cette entente, des journalistes et des photographes du Herald ont surveillé – et photographié – l’une de ces violations de domicile. Le journal a publié le récit de cette affaire et, dès le lendemain, les deux détectives étaient suspendus en attendant la tenue d’une enquête. Après avoir examiné ce dossier, la Commission de la police a mis le point final à l’affaire en souscrivant formellement à la politique énoncée par le chef de police, à savoir qu’aucun acte illégal de la part des agents de police ne serait pas toléré ;
-au Windsor Star pour un reportage consacré au taux alarmant des décès causés par le cancer chez les employés de l’usine Bendix Automotive Company du Canada, qui fabriquait des garnitures de frein en amiante. Les articles du journaliste Kevin McIntosh, publiés en juin, ont révélé pour la première fois qu’il existait peut-être un lien entre le taux des décès reliés au cancer et les fibres d’amiante en suspension dans l’air, fibres qui avaient tourbillonné dans l’usine durant plus de 30 ans. Après la publication de ces informations, 13 autres victimes ou survivants se sont fait connaître. Le Ministère du travail de l’Ontario a tenu des audiences publiques pour déterminer s’il fallait renforcer les normes relatives à l’amiante et à d’autres substances dangereuses, et a aussi contraint l’usine Bendix à adopter de nouvelles mesures de sécurité, Même si elle a nié que l’amiante ait causé ces cancers, la compagnie a modifié certaines procédures dans son usine et a accepté de faire régulièrement subir des radiographies aux employés en contact avec l’amiante ;
-au journal Calgary Albertan pour avoir attiré l’attention du public sur la gêne financière dans laquelle étaient plongées de nombreuses familles de militaires à la suite de propositions visant à augmenter leurs salaires de 6,4 %, mais aussi les loyers des personnes mariées vivant à la base des Forces canadiennes de Calgary de 25 à 50 %. Les articles du journaliste Bob Bergen ont entraîné des résultats. Le ministre de la Défense a annoncé que des changements seraient apportés au système de fixation du prix des loyers. En s’appuyant sur les informations qu’il avait recueillies, le journaliste a rapporté des manifestations survenues lors d’assemblées politiques. Il a aussi rédigé des articles exclusifs sur le nombre sans précédent de militaires qui abandonnaient les Forces armées, ainsi que sur des familles de la Base militaire de Calgary qui devaient recevoir des suppléments de 5 à 125 $ par mois des services de bien-être social pour acquitter leur loyer.
Le jury du Prix Michener 1979 était formé de :
Fraser MacDougall, président, ancien dirigeant de la Presse canadienne et actuel secrétaire exécutif du Conseil de presse de l’Ontario; Emery LeBlanc, ancien rédacteur en chef du journal « L’Evangéline » de Moncton et maintenant directeur des relations publiques de Via Rail à Montréal; Bill Boss, directeur des relations publiques à l’Université d’Ottawa; et William Metcalfe, ancien directeur de la rédaction au Winnipeg Free Press et au Ottawa Journal.
Le prix Michener est décerné annuellement depuis 1970, année où il a été créé sous le patronage du Gouverneur général de l’époque, Roland Michener, qui lui a donné son nom. Il a pour but de reconnaître l’excellence en matière de journalisme d’intérêt public au Canada.